Ajouté le 20 avr. 2020
Ils étaient tous là.
Combien de fois encore me serait-il donné de faire les quelques cent-onze kilomètres qui séparaient ma résidence actuelle de la vieille grange de mes anciens.
Abandonnée à son sort les trois quarts de l’année, elle nous ouvrait pourtant ses vieux volets de bois, chaque été, pour les quelques semaines d’affection que nous voulions bien lui accorder, et avec la rancune d’un labrador qu’on récupère à la SPA, nous offrait la chaleur de son cœur cheminée.
Une énième tempête était venue lui faire des misères, ajoutant à la triste mine laissée par un fourgon, qui l’hiver dernier avait embouti sa pierre. Les anciens s’en étaient allés désormais, et c’était à nous à présent, qu’il incombait de venir s’en soucier.
Après avoir fait le tour de la propriété, je me saisis de l’échelle, et me voilà sur le toit grimpée, dérangeant quelques hirondelles.
Les tuiles étaient en place. Certaines étaient bien-sûr fendues, le passage du temps ayant laissé sa trace. Mais toutes avaient tenu, et ardemment fait face, à ce surplus d’agressions, que le ciel ingénu, leur intimait en punition.
Redescendant de mon perchoir, j’aperçus le voisin, qui m’adressa un Bonsoir, en sortant de son jardin. Une pudique affection me liait à cet éternel aïeul, qui hantait Saint Seurin, accompagné de son jeune épagneul, et qui de mon héritage de ruines était le meilleur gardien.
Traversant le portique rouillé, j’observais çà et là le désordre oublié, et saluais les robustes poutres maintenant leur abri, maigre réconfort face aux intempéries.
La branche de châtaigner qui me servait d’arc gisait près de ses flèches d’if. Les récits des vacances de célébrités périmées défilaient, au rythme lent des pages bercées, par le mince filet d’air, qui se frayait chemin à travers le lierre.
La barque de mon grand-père, se joignant au lancinant tempo, clapotait sur la rivière, doucement au fil de l’eau.
D’un pas solennel, je descendais les marches qui avaient troqué leur marbre pour de la mousse. Au temps de miel, elles rapportaient toujours d’éclatantes frimousses.
Ils étaient tous là.
Les cygnes avaient cessé d’espérer leur pain quotidien, et étendaient leurs ailes sur l’île du soleil, à la chaleur des silex, sous le regard bienveillant du château de Saint Seurin.
Les poissons, enorgueillis par le repli de leur ennemi à poulie, s’approchaient de la berge en brandissant leurs branchies.
Ornée de mille petites fleurs, les algues déployaient leur impressionnante chevelure, qu’honoraient les libellules aux étranges couleurs, y élevant leur progéniture.
Non elle ne valait pas grand-chose cette petite ferme inhabitée. Mais les lois foncières ne connaissent pas les lois du cœur. Si les fonds pour la récupérer n’étaient pas rassemblés, il faudrait dire adieu à ces modiques saveurs.
Pour me sortir de ces songes obtus, se créa une alliance, entre les orties pointues et les cerisiers joufflus, qui m’invitèrent à une danse.
Je tournoyais dans la petite brise, là où les transats avaient l’habitude de se déployer pour observer les comètes, en plein mois d’août et soirs de fêtes.
J’enlevais mes chaussures et suivis la cadence, guidée par une odeur de savon brut émanant du chai désœuvré, dont la fonction première avait été détournée.
Mon regard se posa sur l’imposante armoire de mes aînés. Ainsi exposée aux lichens et aux escargots, elle semblait toute attristée de ne plus être admirée, et voûtait le dos.
Tout était en ordre, je pouvais repartir.
Et pourtant je ne pus m’enquérir, à cet instant, d’autre chose que ce qu’elle avait à me dire.
L’armoire se mit à grandir. Où était-ce moi qui rapetissais ? Tout devint flou. Il n’y avait plus que cette vieille amie, à qui tout le monde avait un jour eut à cœur, de confier ses soucis. Tels les quelques murs qui l’encadraient, sans entièrement la protéger, aucune rancœur n’émanait de ses portes entrouvertes.
Hôte polie, fidèle complice, elle tenait son poste, malgré ses ennuis. Elle paraissait reconnaitre en moi les enfants qui jadis, l’invitaient à jouer, se cachant dans son antre, quand la table appelait. Où bien seraient-ce ces adolescents, qui les soirs de juillet, fleurtaient avec elle, y laissaient leurs secrets ?
Ragaillardie par une présence familière, elle redressa son armature charpentière, et me laissa entrer, dans les souvenirs enchantés, que d’une poignée de maître, elle avait su conserver...
Ils étaient tous là, assis à une table de frais apéritifs. Les hommes bougonnaient, tandis que les femmes se hâtaient dans leurs préparatifs.
Et moi cela m’ennuyais.
Alors je sautais du muret pour aller me suspendre au cerisier. En chemin, je ramassais quelques herbes à verrues, et je remerciais grand-mère feuillage d’être venue. Si j’étais patiente, je pourrais après l’heure de détente, demander à aller me baigner avec les cousins Marseillais. Quoique ce ne fut pas mon passe-temps favori. Solitaire, je préférais de loin admirer la rivière, et d’un élan téméraire, à contre-courant traverser son lit.
Ils étaient tous là, s’agitant autour des banquets de fête, pour l’anniversaire d’un tel, le mariage de celle-ci, le baptême de celui-là...
Ils étaient tous là et pourtant j’étais seule, dans les bras de ma fidèle armoire, qui tandis que je pleurais, me serrait fort dans le noir, pour me réconforter.
A toi ma chère maison de vacances, dont les murs effondrés n’ont rien à envier au plus beau des palais, dont les pierres blessées éblouiraient des gemmes de jais, laisse-moi te dire aujourd’hui, que qu’importe ton prix, je viendrais te chercher.
Car sur mon âme orpheline, tu règnes en manoir, j’en écrirai des comptines, au nom de ta mémoire.
Roxane Simon Ouvrard
Inspiré de la photo Chaos de la galerie Traces du sacré.