Added Jun 11, 2019
Je suis noble insecte insouciant qui chante,
Au solstice d'été, dès l'aurore éclatante,
Dans les pins odorants, mon chant toujours pareil
Comme le cours égal des ans et du soleil.
De l'été rayonnant et chaud je suis le Verbe,
Et quand, las d'entasser la gerbe sur la gerbe,
Les moissonneurs, couchés sous l'ombrage attiédi.
Dorment en haletant des ardeurs de midi,
Alors, plus que jamais, je dis, joyeuse et libre,
La strophe à double échos dont tout mon être vibre,
Et tandis que plus rien ne bouge aux alentours,
Je palpite et je fais résonner mes tambours ;
La lumière triomphe, et, dans la plaine entière,
On n'entend que mon cri, gaîté de la lumière.
Comme le papillon, je puise au cœur des fleurs
L'eau pure qu'y laissa tomber la nuit en pleurs.
Je suis par le soleil tout-puissant animée ;
Socrate m'écouta ; Virgile m'a nommée ;
Je suis l'insecte aimé du poète et des dieux ;
L'ardent soleil se mire aux globes de mes yeux ;
Mon ventre roux, poudreux comme un beau fruit, ressemble
A quelque fin clavier d'argent et d'or, qui tremble ;
Mes quatre ailes aux nerfs délicats laissent voir,
Transparentes, le clair duvet de mon dos noir.
Et comme l'astre au front inspiré du poète,
Trois rubis enchâssés reluisent sur ma tête.
Jean Aicard, La Cigale in Poèmes de Provence, 1873
Lu par Estelle Delort de la troupe Du Bruit sur les planches lors de mon exposition Vol à dos d'abeille en mai 2019.