Added Jan 23, 2021
Le monde est l'ensemble formé par la Terre et les astres. C'est si vaste que cela donne le tournis, l'impression que tout tourne autour de nous comme après le verre de trop. Penser à cette immensité est effrayant. On ne peut ni la toucher, ni la mesurer, ni même espérer l'explorer en entier. Se dire que toute une vie ne suffira pas à découvrir le monde. Cette révélation est assez triste, même déprimante. Nos voyages sont limités par le temps octroyé sur cette Terre mais aussi par notre quotidien. Nos responsabilités, nos engagements, nos moyens. Même hors temps de pandémie, nous ne pouvons parcourir le vaste monde en entier. Alors, plus le temps passe, plus je me dis que ce vaste monde doit être réduit. Plus le temps passe et plus je comprends combien il est urgent de partir. S'évader par tous les moyens possibles.
Voilà bientôt plus de trois mois que je m'évade. Cette évasion n'était pas planifiée, pas calculée. Je n'étais pas une prisonnière rêvant de liberté parce que j'avais oublié ce que ce mot pouvait bien signifier. Je m'étais habituée à faire tourner mon monde avec précision, organisation et résiliance. Ce monde sur mes épaules. Ce monde, qui depuis des années, a oublié qu'il est porté par une femme qui rêve d'autres paysages. Et puis un jour, mon monde a implosé. Imploser, non pas exploser. Car c'est venu de l'intérieur. Du plus profond de mon être. D'un endroit au fond de mon ventre, près de mon estomac, dont j'avais oublié l'existence. Un feu d'artifice qui donne des crampes, le rose aux joues et qui donne raison à toutes les métaphores pompeuses : le coeur qui s'emballe, qui sort de la poitrine ou qui danse la samba !
Mon monde a changé. Il est devenu moins lourd à porter parce qu'il a changé de couleurs. Il a pris le marron de ses yeux, le noir profond de ces jolies boucles et le rouge des dessins sur sa peau. J'ai commencé la plus douce des évasions quand il a posé ses yeux sur moi pour la première fois. Une évasion silencieuse et secrète au début. Une aventure qui n'existait que dans mon esprit. Je ne planifiais pas de plans incroyables ou de voyages fantastiques, je pensais simplement à ces terres inconnues que sont son visage et sa voix. Dès les premières notes de cette mélodie, je suis partie. Loin. Dans un monde où je ne suis que moi. Où le monde me porte et pas l'inverse. Cette voix sensuelle, chaude et joueuse. Une voix qui semble aussi réservée que généreuse. Je l'imaginais, généreuse avec moi. Dans ses mots, ses phrases et ses intonations.
Ses mots. Ce sont eux qui m'ont permis de transformer mon évasion fantasmée en réalité. Des centaines et des centaines de mots échangés. Une relation épistolaire des temps modernes. La technologie a le bon goût de lui adresser mes mots en quelques secondes. Pas besoin d'une enveloppe qui parcourt des kilomètres en attendant de prendre vie sous ses doigts. Seulement une petite notification rouge en haut de mon écran et je suis avec lui. Nos mots nous font voyager. Ils nous permettent de partir tous les deux où nous le voulons. On voyage souvent en dévorant des romans, des histoires d'amour incroyables, si belles qu'elles semblent irréelles. Eh bien, nous, nous avons créé notre propre roman, notre propre ouvrage. Nous avons, pages après pages, construit une histoire. Notre histoire. Et chaque fois que mes yeux tombent sur ses mots, je pars en voyage.
Le voyage. Découvrir de nouveaux paysages. Je n'ai jamais découvert plus beau, que le rouge coquelicot de ses joues et les tremblements de ses mains. Des mains fébriles et animées comme une mer agitée. Ce qu'il ne saura jamais, c'est la tempête en moi, ce jour là, qui cognait dans mon coeur et ma tête. Il ne saura jamais la force de l'envie, qui m'a poussé ce jour là, à le prendre dans mes bras. Une étreinte maladroite et apaisante. Une étreinte qui m'a embarqué pour de bon, vers une destination inconnue.
Et quand on a pris le goût du voyage, on ne s'arrête plus. Les plus grand explorateurs vous le diront. Impossible de se contenter des terres qu'ils ont déjà gagnées. Impossible de ne pas avoir envie de fouler d'autres sols, d'explorer d'autres endroits. C'est exactement ce que j'ai ressenti. Les coquelicots de ses joues ne suffisaient plus, j'avais envie de découvrir la saveur de sa bouche, la douceur de ses mains et de continuer à lire les cartes aux trésors tatouées sur sa peau. Nous avons continué de voyager. En parcourant de plus en plus de chemin. Petit à petit, mon vaste monde est devenu aussi étroit qu'une pièce de treize mètres carré. Et pourtant, je n'ai jamais ressenti tant de liberté et d'immensité. Une pièce au murs blancs avec une jolie cheminée de marbre et un matelas au sol. Pas besoin de grand chose pour s'aimer. C'est quand on comprend ça, qu'on cesse de rêver de tout posséder. S'auto-suffire. Que ses bras deviennent le seul endroit exotique où j'ai envie de me reposer. Que ses yeux soient le seul lac où j'ai envie de plonger. Que sa peau soit la seule étoffe que j'ai envie de toucher. Sa bouche, le seul fruit que j'ai envie de savourer. Les courbes de son corps, les seuls reliefs que j'ai envie de parcourir.
J'ai pris conscience avec lui, qu'avant de rêver à voyager et à conquérir le monde, on peut déjà commencer à modeler son propre monde. Se donner les moyens de le rendre plus beau, plus honnête envers qui nous sommes. Le monde n'a pas à être un poids sur nos épaules, le monde doit nous porter et nous élever. Cette vaste Terre nous survivra. Elle sera la grande gagnante de cette course contre la montre dans laquelle nous nous sommes lancés. Elle n'a pas pas besoin de nous pour continuer à exister. Mais moi, j'ai définitivement besoin de lui et je compte bien ne plus jamais cesser de voyager à travers son sourire. Cette pandémie ne m'aura pas privé de liberté, elle m'aura offert le plus beau des voyages avec une destination qui porte l'initiale de son prénom.
Constance Ecluse
Proposé à l'occasion de la Nuit de la lecture 2021 sur le thème "Relire le monde".
Image : Stokpic - Pixabay